Pourquoi le procès « historique » de Google se déroule-t-il à huis clos ?


Que s’est-il passé depuis le 12 septembre, jour d’ouverture du procès historique de Google aux États-Unis ? Hormis les auditions d’un ancien cadre d’Apple et du PDG de DuckDuckGo, peu d’informations franchissent les portes du tribunal de première instance du district de Columbia. Voici pourquoi.

Google contre le ministère public américain : le procès qui s’est ouvert le 12 septembre dernier était censé être une affaire très suivie, autant que l’avait été, avant lui, le dernier et seul litige d’un autre géant du numérique, Microsoft, jugé pour abus de position dominante en 1998. À l’époque, celui qui était aussi accusé de pratiques anticoncurrentielles avait fait la Une des médias pendant huit mois. Mais aujourd’hui, que cela soit dans la Silicon Valley ou dans le reste du monde, qui parle encore du grand procès décrit comme historique contre Google ? Quelles caméras sont encore braquées vers le tribunal de première instance du district de Columbia, qui a entamé sa 3ᵉ semaine de procès (sur huit) ?

Si ce procès attire moins que le précédent, c’est pour une bonne raison : la majorité des auditions a lieu à huis clos. Et les pièces à conviction utilisées dans la plaidoirie du ministère de la Justice américain – comme des courriels, des graphiques et des présentations internes de Google – ne sont plus accessibles. Encore en début de semaine dernière, il était encore possible de les consulter sur le site Web de l’administration. Ces fameuses annexes, qui permettaient à tous les intéressés de suivre le procès jour après jour – y compris à distance – ont été retirées. La raison : Google craint que des chiffres confidentiels et des secrets d’entreprise soient révélés.

Le juge enclin à répondre aux demandes de confidentialité de Google

Et lorsque Google s’est aperçu, en début de semaine dernière, que le ministère public mettait en ligne toutes les pièces évoquées pendant ses plaidoiries, il est allé demander au juge que l’accès soit supprimé. Google a expliqué qu’il pouvait contenir des données personnelles de ses employés et qu’ils ne devaient pas être publiés, rapporte Bloomberg. L’accès a alors été coupé, en attendant une décision définitive du juge qui n’est pas encore tombée, quasiment une semaine plus tard.

Si le juge tranche en faveur de Google, cette affaire sera beaucoup plus difficile à suivre – et les experts, journalistes, professeurs et curieux ne pourront plus se plonger dans ces documents, une occasion rare de comprendre le fonctionnement interne d’une des sociétés les plus puissantes au monde. Et cela pourrait être le cas, puisque le juge Amit Mehta expliquait, lors d’une audience préliminaire du mois d’août, à propos des demandes de huis clos de Google : « Je ne suis pas quelqu’un qui comprend l’industrie et les marchés comme vous le faites. C’est pourquoi je prends au sérieux les entreprises qui me disent que si ces informations sont divulguées, que cela va nuire à la concurrence ». 

Pour suivre le procès, un parcours du combattant

Il ne semble pas non plus prendre le même chemin que son prédécesseur qui jugeait de l’abus de position dominante de Microsoft. Dans cette affaire de 1998, le juge avait permis que la déposition de Bill Gates soit accessible et que les scellés sur plus d’une centaine de transcriptions d’autres dépositions d’acteurs de l’industrie soient levés.

Mais dans le cas de Google aujourd’hui, le simple fait de vouloir suivre le procès est un parcours du combattant. D’abord, il faut se rendre sur place, à Washington D.C. Ensuite, il faut alors attendre de longues minutes devant une porte fermée – le temps des auditions à huis clos. Et elles peuvent durer une journée entière, raconte The Big, une newsletter consacrée aux géants du numérique. « Un véritable black out sur l’information », déplore son auteur, alors que la période est, contrairement à 1998, à la critique de la trop grande puissance des géants du numérique. Comment expliquer « cette étrange déconnexion » ? Il n’y a, selon ce dernier, qu’une seule explication : « (Le juge) Amit Mehta a empêché le public de voir quoi que ce soit de significatif ou d’intéressant », écrit-il.

Les auditions d’Apple et de DuckDuckGo

Seul élément notoire : l’audition d’un ancien cadre d’Apple, Eddy Cue, lundi 25 septembre, l’homme qui avait renégocié en 2016 ces fameux contrats qui sont au cœur de ce procès. Le juge Amit Mehta doit en effet répondre à la question suivante : le tout-puissant Google, qui appartient à Alphabet, a-t-il abusé de sa position dominante, en passant des accords d’exclusivité avec les fabricants de smartphones comme Apple et les fournisseurs de service ? Ce sont ces derniers qui lui ont permis, et qui lui permettent toujours, d’être le moteur de recherche par défaut sur les navigateurs ou sur nos téléphones.

Or, s’il n’est pas interdit d’être en position dominante sur un marché (Google Search représente 90% du marché de la recherche en ligne), le droit de la concurrence sanctionne l’abus de cette position. Il s’agit par exemple du fait d’utiliser sa position dominante pour empêcher les sociétés concurrentes « d’exister », en ne leur laissant que des miettes du marché. Le géant américain de la tech risque gros : s’il est reconnu coupable, c’est le démantèlement. 

Et justement, en ce début de semaine, Eddy Cue, ancien cadre d’Apple, était auditionné parce qu’il était responsable de la mise en œuvre de l’accord conclu entre Google et Apple. Depuis 2002, Google est le moteur de recherche par défaut des produits Apple. La raison : « nous avons toujours pensé que c’était le meilleur. Nous choisissons le meilleur et nous permettons aux utilisateurs d’en changer facilement », a-t-il expliqué. Une semaine plus tôt, le PDG de DuckDuckGo, un moteur de recherche concurrent qui n’a jamais dépassé les 3 % du marché, affirmait au contraire qu’il fallait « trop d’étapes » pour changer de moteur de recherche, relatait Bloomberg.

Les utilisateurs ne changent pas leur option par défaut, dans la majorité des cas

L’audition du patron de ce moteur de recherche était l’autre épisode marquant de ces deux dernières semaines. Gabriel Weinberg a expliqué, jeudi 21 septembre, qu’il était difficile de passer de Google Search à un autre moteur de recherche, les consommateurs laissant pour la majorité l’option par défaut.

Il s’agit là d’une question clef du procès. Selon le géant numérique, changer de moteur de recherche est facile, puisque cela peut se faire en quelques clics. Mais pour le PDG de DuckDuckGo, « “switcher (installer un autre moteur de recherche que Google, NDLR) est beaucoup plus difficile qu’il ne devrait l’être », a déclaré Gabriel Weinberg.

Selon le ministère de la Justice, Google paierait plus de 10 milliards de dollars par an aux fabricants de smartphones et aux fournisseurs de services pour être leur moteur de recherche par défaut. En concluant ces contrats, Google aurait empêché des moteurs de recherche rivaux, comme Bing (Microsoft) ou DuckDuckGo, d’acquérir l’envergure nécessaire pour rivaliser avec Google Search. Google se défend en expliquant avoir conquis sa part de marché pour une raison principale : il serait le meilleur moteur de recherche. Le juge a encore six semaines pour trancher la question. 

Source : The Big



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Catégorie article Technologies

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